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Depuis ce dimanche, nous avons perdu Philippe Grombeer, que tous les témoignages qualifient d’homme attachant, curieux, intelligent, chaleureux, rayonnant.
Il était mon ami et je peux en témoigner, ces adjectifs sont tout-à-fait justifiés.
Philippe Grombeer était important pour beaucoup d’artistes, beaucoup d’amateurs des expressions culturelles. Des articles émouvants ont déjà paru dans la presse.
Je vous livre une belle phrase de Christian Jade : « Sa bienveillance était une philosophie autant qu’une pratique ».
Pourquoi était-il si important pour Bruxelles Babel aussi ?
Dès le début de sa vie professionnelle, Philippe a associé la culture et le social, défenseur de la démocratie culturelle. Quand il est devenu, en 1968, responsable de la Ferme V, maison des jeunes de Woluwe-Saint-Lambert, avec ses amis de l’époque, il en a fait bien vite une scène du rock alternatif.
Malgré l’exiguïté des locaux, la Ferme V accueillit le premier concert de Genesis en Belgique. Pendant les concerts, « help service » permettait aux jeunes d’exprimer leurs problèmes à des assistants sociaux ou à des psys. La Commune fit fermer ce lieu, trop contestataire.
Après un service civil en Algérie, il a été sollicité par Jo Dekmine, Directeur du Théâtre 140, avec quelques autres, afin de trouver une affectation à l’ancien marché couvert de Schaerbeek que le Bourgmestre de l’époque voulait transformer en parking. C’est comme cela qu’est né le projet dingue des Halles de Schaerbeek. C’est à cette époque que j’ai eu la chance de le rencontrer. Je travaillais à la Commission française de la Culture, seule institution à cette époque qui octroya de faibles moyens au projet des Halles.
Il fit partie de la petite équipe qui organisa, avec moi, la première rencontre EDERED à la Marlagne en 1982 (évènement de deux semaines durant lesquelles de jeunes européens créent ensemble un spectacle en surmontant l’obstacle des langues). C’est là que notre amitié s’est renforcée.
Lorsque les Halles furent sauvées, il fallut de nombreuses années pour arriver à dégager les budgets nécessaires à leur rénovation complète. Mais entre-temps, la petite Halle devint opérationnelle et Philippe Grombeer, avec toute son équipe, dont Anne Kumps, accueillit à bras ouverts, à partir de 1985 et durant plusieurs années, le Festival Bruxelles Babel.
Durant 6 ans de suite puis encore deux années plus tard, ce lieu magique a été notre maison, sous un chapiteau planté dans la grande Halle, en alternance avec la petite Halle au sous-sol. Les jeunes Babéliens ont occupé tout cet espace, sous le regard bienveillant de Philippe Grombeer, offrant ainsi avec son équipe, un espace professionnel à de jeunes amateurs. Nous lui sommes redevables à tout jamais d’avoir permis au projet Bruxelles Babel de s’épanouir, se développer, évoluer, se remettre en question.
En 2002, il a été appelé à créer le Théâtre des Doms à Avignon, dynamique vitrine belge du spectacle vivant. Grâce à la qualité de son écoute, à son optimisme, son professionnalisme et sa modestie, des centaines d’artistes de la Communauté française ont eu la chance de trouver là un public et un avenir professionnel.
En 2008, Madame l’Ambassadeur de France l’a fait Officier de l’Ordre des Arts et Lettres. Un hommage émouvant pour un homme de notre petit pays où les artistes rencontrent si peu de reconnaissance. Au Nord, on sabre dans les budgets culturels, au Sud, on rame avec des enveloppes budgétaires bien maigres, et la situation de nombreux artistes est devenue dramatique en ces jours de confinement.
Depuis sa retraite, Philippe était revenu en Belgique et avait accepté de devenir membre de l’Assemblée générale de Tremplins, alors qu’il était déjà tant sollicité par ailleurs.
Philippe, qui avait des d’amis dans toute l’Europe, est parti pour son dernier voyage, mais beaucoup trop tôt. De ce pays, il ne reviendra pas mais il vivra encore longtemps dans la mémoire et le coeur de ceux et celles qui ont eu la chance de le connaître.